À première vue, parler de contraintes comme d’un moteur de créativité semble un peu contre-intuitif. Après tout, la liberté totale, c’est ce qu’on associe d’habitude à l’expression artistique. Et pourtant, poser des limites peut être l’une des meilleures façons de stimuler votre imagination.
Quand vous réduisez vos options — que ce soit en matériel, en temps, en lieu ou en sujet — vous obligez votre esprit à chercher autrement, à inventer plutôt qu’à choisir parmi mille possibilités.
Dans cet article, je vais vous expliquer pourquoi accepter de travailler avec des contraintes peut non seulement enrichir votre pratique photographique, mais aussi vous aider à affirmer peu à peu ce qui fait votre regard unique.
Vous avez peut- être déjà vu mon projet « In God We Trust » sur les formes originales de religions aux USA. C’était mon premier projet au long cours aboutis. A l’époque j’étais ambassadeur Fujifilm et j’avais par conséquent juste un boîtier, le Fujifilm Xpro 2, et un seul objectif (un 23mm f/1.4, équivalent 35mm). À première vue, cette contrainte était un peu dangereuse, surtout lorsque l’on part plusieurs semaines mais au final, c’est devenu une bénédiction. Après presque quatre ans à parcourir les États-Unis à la recherche d’églises et de cultes hors normes, en gardant le même matos minimaliste, la douzaine de reportages réalisés se sont assemblés naturellement pour composer un projet unique, porté par une cohérence naturelle. »
Je n’ai pas passé mon temps à chercher l’objectif idéal pour chaque lieu, j’étais d’ailleurs souvent trop près ou trop loin, et j’ai donc appris par conséquent à mieux me déplacer. Cela m’a surtout conduit à privilégier la simplicité, et la connexion avec les gens .
Plus récemment, pour mon projet Zmaj, The Breath Beneath the Mountain — qui sera présenté cette année aux Rencontres d’Arles dans le cadre du projet collectif Thrutopia, en compagnie de mes chers compagnons d’Inland Stories —, j’ai ressenti le besoin de rompre à nouveau avec mes habitudes.
Je me suis lancé dans une contrainte aussi vertigineuse que stimulante : photographier exclusivement à la chambre argentique 4×5, cet outil monumental que je n’avais approché qu’une fois il y a bien longtemps et dont je gardais le souvenir de quelque chose d’inaccessible, fascinant et tellement intimidant.
Mais le défi ne s’arrêtait pas là. Cette fois, j’ai choisi de travailler en couleur, en Portra 160, et d’aller jusqu’au bout de la chose en apprenant à tout développer moi-même, du premier au dernier plan film couleur.
Un retour aux sources, exigeant et libérateur à la fois, comme une tentative de changer ma façon de voir les choses en ralentissant le processus et avec l’incertitude du geste photographique. »
Cette contrainte m’a obligée à réfléchir à chaque scène, à la construire avec soin, en prenant le temps de capter chaque détail dans le même cadre. En quelque sorte j’ai appris à voir à nouveau.
C’est dur, c’est ingrat, frustrant mais la satisfaction peut être là au bout du chemin.
Ce que j’ai découvert avec Zmaj, c’est qu’en me limitant à dix images par jour, quelque chose en moi changeait profondément.
Chaque matin, je glissais dans mon sac dix plans films 4×5, pas un de plus. Dix occasions de voir, de choisir, de raconter. Dix décisions qui devaient s’inscrire dans une réflexion précise, imaginée au préalable sur mon écran mental et rapportée à l’avance dans mon carnet de notes, comme une feuille de route silencieuse, une veritable guideline pour la réalisation du projet ( Je reviendrai bientôt sur ce concept de photographie pro-active, processus qui est au coeur des workshops que nous animons avec Eugénie).
Très vite, donc cette contrainte n’a plus été une frustration, mais une libération.
Elle m’a forcé à ralentir, à habiter pleinement chaque instant, à écouter ce que chaque lieu, chaque lumière avait à dire avant de déclencher.
C’est peut-être cela, au fond, qui continue de lier certains d’entre nous à l’argentique : ce besoin de faire de chaque photographie non pas une simple capture, mais un choix conscient, un fragment de sens inscrit dans un fil invisible que l’on tisse jour après jour.
Revenons au projet Zmaj, une métaphore de l’exploitation minière déraisonnée par les chinois en Serbie.
Tout se joue autour de la mine de Bor, et ce petit bout de territoire devient un monde à lui tout seul. un véritable terrain de jeux bien délimité.
Accepter les contraintes, ce n’est pas enfermer son sujet, c’est au contraire lui donner de la profondeur, en se contorsionnant pour extraire l’extraordinaire caché dans l’ordinaire.
Aujourd’hui, quand on voit défiler des milliers d’images de voyages sur les réseaux sociaux, c’est facile de se sentir découragé.
On a parfois l’impression que notre quotidien est trop banal pour en tirer quelque chose d’intéressant et de déjà stimulant pour nos propres yeux.
Mais c’est faux. Vous n’avez pas besoin de partir à l’autre bout du monde pour créer des histoires qui ont du sens.
Ce qui vous entoure est déjà une matière incroyable à explorer. Il suffit de porter un regard neuf sur votre quartier, votre ville, votre propre histoire.
Je repense souvent à l’un de mes premiers projets de photo de rue : Le 20ème Rugissant.
Un hommage au 20ème arrondissement de Paris où je vivais, que j’ai arpenté et photographié pendant des années. La seule règle que je m’étais fixée alors était simple : ne jamais sortir des limites du quartier.
Et cette contrainte, je l’ai retrouvée plus tard, presque naturellement, pendant le premier confinement.
Un plaisir paradoxal : être restreint, mais voir s’ouvrir mille façons différentes de raconter le même bout de rue…
Alors, pourquoi brider volontairement votre créativité ? Voici trois super avantages :
Libérer votre esprit : Limiter les choix, c’est libérer de l’énergie mentale. Fini les angoisses du matériel ou des styles. Vous allez passer à l’action, et non plus à la réflexion.
Une signature cohérente : Les contraintes créent un style identifiable. Votre public reconnaîtra votre travail, et cela vous permettra de créer un corpus unique et authentique.
Faire briller le petit budget : Pas de gros budget ? Aucun souci. Les contraintes vous forcent à faire preuve de créativité avec ce que vous avez, ce qui peut donner des résultats surprenants et parfois encore plus intéressants qu’avec un gros équipement.
En bref, les contraintes ne sont pas une prison, mais une véritable libération. Elles vous obligent à voir la beauté dans les limites et à faire de chaque prise de vue une aventure réfléchie.
Allez, maintenant, prenez votre appareil photo, acceptez les contraintes et commencez à créer. L’action précède l’inspiration !
Et voilà, c’est tout pour cette semaine ! Si ces articles vous plaisent n’hésitez pas à nous le faire savoir en commentaires, c’est le carburant de notre motivation.